Le subjonctif avec les verbes d'opinion ou de perception
Prof. Seth Whidden
Après les verbes d'opinion ou de perception, on met, dans la subordonnée introduite par que:
1. L'indicatif toutes les fois que l'on considère la réalité d'un fait; le conditionnel quand on exprime un fait éventuel, hypothétique:
indicatif
Je crois, j'affirme, je déclare, je sais, je vois que l'entreprise RÉUSSIRA.
Il lui explique enfin qu'il n'EST pas Moine comme la petite le croyait (Laclos, Les liaisons dangereuses, lett. 51).
Je me doute qu'il VIENDRA me voir (Littré).
Je juge que vous DEVEZ partir (idem).
Vous soupçonnez que je VEUX vous tromper (idem).
conditionnel
Je pense qu'il ACCEPTERAIT volontiers.
J'affirme, je crois, je soutiens que vous AURIEZ pu réussir.
Je ne doute pas qu'il n'y AURAIT beaucoup à apprendre (A. Gide, Voy. au Congo, p. 24).
2. Le subjonctif lorsque le verbe subordonné exprime un fait simplement envisagé dans l'esprit, et non situé sur le plan de la réalité. Le cas se rencontre notamment après une principale négative, interrogative ou conditionnelle, ou encore quand le verbe principal se colore d'une nuance affective ou quand il implique la négation, le doute, l'incertitude, par exemple après nier, douter, contester, démentir, disconvenir, dissimuler, désespérer, etc.
J'admets que vous AYEZ raison dans ce que vous pensez (A. Camus, Les justes, p. 131).
Tout ceci, c'est ce que me dit ma mère pour m'expliquer que les Vautier AIENT accepté la demande de son frère avec joie (A. Gide, La Porte étroite, p. 15).
Crois-tu donc que je SOIS comme le vent d'automne? (Musset, N. de Mai).
N.B. Un verbe d'opinion ou de perception dans une principale négative, interrogative ou conditionnelle, n'appelle pas nécessairement le subjonctif dans la subordonnée; l'indicatif est demandé si c'est la réalité du fait qu'on veut exprimer (pour l'exprimer l'éventualité, on met le conditionnel)
Nous ne savions pas que la ville ÉTAIT si distante (A. Gide, Incidences, p. 118).
Il ne croit pas qu'on A pu réussir cette opération. - Croyez-vous que j'AI peur? (Hugo, F. d'aut., XV).
Je ne crois pas que je POUVAIS faire autrement (J.-L. Vaudoyer, La Reine évanouie, pp. 117-18).
Croit-on que nous SOMMES sur un lit de roses...? (Colette, Le fanal bleu, p. 226).
Remarques
1. Lorsque les verbes de négation ou de doute nier, douter, contester, démentir, disconvenir, dissimuler, etc., sont employés négativement ou interrogativement, ils sont d'ordinaire suivis du subjonctif (à moins qu'on n'ait le conditionnel pour exprimer un fait hypothétique). Ils admettent aussi l'indicatif: on insiste alors sur la réalité du fait.
subjonctif
Je ne doute pas qu'il ne VIENNE bientôt (Ac.).
Nous ne doutions pas que notre pays REPRENNE un jour sa place traditionnelle à la tête de la civilisation (G. Bernanos, La France contre les robots, pp. 13-14).
Je ne nie pas que la liberté SOIT pour une nation le premier des biens (A. France, Thaïs, p. 153).
indicatif conditionnel
Je ne doute pas qu'il FERA tout ce qu'il pourra (Littré).
Il ne doutait pas qu'il y SERAIT accepté [à l'hôpital] (Montherlant, Les Célibataires, p. 293).
Douterais-tu que cette main que tu peux toucher A tué Cragnasse? (Ch. Silvestre, Manoir, p. 249).
Tu ne nieras pas que tu m'AS forcé la main (G. Marcel, Rome n'est plus dans Rome, p. 137).
On ne pouvait pas nier que c'ÉTAIT là une belle vie (M. Déon, Le Rendez-vous de Patmos, p. 127).
Adapté de Maurice Grevisse, Le bon usage. Gembloux : J. Duculot, 1975. 1294-97 (no. 2568-70).